Intervention en séance plénière du Parlement bruxellois le 23 décembre 2021 dans le cadre de la discussion des projets de budgets 2022 de la Région bruxelloise et de la Commission communautaire commune.
La Belgique entame donc une nouvelle étape regrettable dans cette interminable crise Covid, qui joue sur les nerfs, la santé et la vie de tout un chacun.
Parce qu’ils ont un devoir d’action pour réparer et prévenir les crises, les pouvoirs publics sont tenus de débattre et in fine de décider de mesures. Ce qui n’est jamais évident lorsque les points de vue sont polarisés.
Mais encore faut-il que ces mesures soient suffisantes et cohérentes au regard de l’objectif. D’autant plus qu’il n’y a pas qu’une seule crise ; elles sont multiples, souvent interdépendantes, et, pour ce qui nous occupe aujourd'hui, beaucoup touchent directement à des matières dont Bruxelles a la charge.
Je ne vais pas longuement m’attarder sur la crise purement sanitaire. Comme il y a un an, l’examen budgétaire se passe malheureusement dans un contexte de grande incertitude, pendant la transmission d’un variant encore imprévisible. Inutile donc d’ajouter du bruit au brouhaha médiatique.
Je note aussi que malgré que le budget de la Cocom soit un budget de crise, en plus d’une indispensable première provision pour faire face à la gestion de la maladie à hauteur de 94 millions d’euros, il n’a pas été établi au détriment des politiques social-santé. Cette matière constitue aussi une crise en soi, puisque la précarité continue d’augmenter à Bruxelles. Sans citer tous les programmes, je salue les hausses budgétaires consacrées à la santé mentale ou encore à la lutte contre le sans-abrisme. Plus largement, la politique de santé et d’aide aux personnes ne pouvait qu’être une priorité de l’action du collège au début de la législature, vu les carences en matière d’accès aux soins de première ligne, et c’est d’autant plus le cas depuis le Covid. À cela s'ajoutent d’autres attention du Gouvernement bruxellois, comme par exemple la mise en place de mesures sociales à hauteur de 15 millions d’euros pour garantir le droit d’accès à l’eau, et faire face à l’augmentation des prix.
De la crise sociale et sanitaire, je passe à la crise du logement. La Région s’est dotée il y a tout juste un an du Plan d’Urgence Logement. Et urgence, il y a. On connait toutes et tous la situation dramatique de notre Région. Plus de 50.000 ménages sur liste d’attente pour un logement social ; l’augmentation constante des loyers et des prix d’acquisition ; nombre de logements délabrés, voire insalubres, au bilan énergétique exécrable… Les grands chantiers du plan logement devront apporter une réponse à ces multiples problèmes, qui maintiennent énormément de familles dans des conditions de vie indignes. Donc l’intention y est, mais on ne peut qu’encourager le Gouvernement à renforcer encore son action, parce qu’au rythme actuel, il y a malheureusement peu de chance que la liste d’attente se résorbe d’ici peu.
La crise du logement entrecroise celle de l’environnement. Car jusqu'à présent, la création de logements s’est toujours faite à grands coups de pelleteuses, détruisant les quelques espaces encore sauvages, et donc la biodiversité. Mais soyons optimistes car cette année, on nous promet d’étudier, je cite, « toutes les pistes pour augmenter le parc des logements », en réservant « une attention particulière à la reconversion d’espaces de bureaux en logements, au soutien des communes dans l’acquisition et la rénovation de logements à finalité sociale et à la croissance du parc des AIS. »
Cette attention est évidemment indispensable si le gouvernement souhaite enfin amener une certaine cohérence entre ses politiques de logement d’une part et ses intentions en matière environnementale d’autre part.
Désormais, la question de la reconversion des bureaux en logements est visiblement un point d’attention de Perspective brussels. Et on ne comprendrait pas qu’il en soit autrement, vu la tendance qui se dessine maintenant clairement en faveur d’un modèle hybride où le télétravail se pérennise. Il serait aujourd’hui question de 2 millions de m² de bureaux vides. Malheureusement, les documents budgétaires ne permettent pas de savoir quelles sont les intentions précises à ce sujet.
Il en va de même des logements inoccupés. Les résultats du cadastre réalisé à la demande du Gouvernement sont tombés il y a quelques jours : notre Région compterait entre 17.000 et 26.400 logements inoccupés. Ce qui est évidemment énorme. Mais là aussi, l’examen du budget ne donne pas d’indication claire sur la manière dont le Gouvernement va enfin lutter contre ce phénomène. Mais attendons la présentation du projet d’ordonnance relatif aux logements inoccupés et à la réforme du droit de gestion publique..
À cela s’ajoutent les dernières tendances démographiques, qui indiquent une diminution de la croissance. Elles seraient une autre raison logique de suspendre certains projets de PAD délétères et décriés. Oui il faut répondre au besoin criant en logements. Mais mettons côte à côte la liste des ménages en attente d’un logement et celle du nombre de bâtiments vides, je suis sûre qu’on peut trouver des solutions qui n'impliquent pas de raser des espaces verts.
Mais l'optimisme a ses limites, car les projets de budget continuent de mentionner qu’en 2022, Perspective s’attachera à finaliser le PAD Josaphat suite à la nouvelle enquête publique qui s’est achevée. Au passage, le fait que le gouvernement annonce la finalisation d’un projet avant même de connaître les résultats d’une enquête publique n’est peut-être pas le meilleur signal en termes de démocratie participative. En tout cas, les nouvelles versions du PRAS et du RRU devront être davantage contraignantes concernant la préservation des espaces verts.
Cette question appelle le volet climatique, et donc l’ordonnance climat que ce parlement a entérinée plus tôt cette année et qui fixe la trajectoire de la Région en la matière. Pas de surprise de ce côté-là, avec un budget qui doit s’élever à + 400 millions d’euros au terme de la période 2021 à 2024. On attend donc la concrétisation des annonces pour ce qui concerne le bâti.
Toujours concernant cette trajectoire, l’intention est d’atteindre une réduction des gaz à effet de serre de l’ordre de -40 % d’ici 2030, tant en émissions directes qu’indirectes. Mais comme je l’ai indiqué en commission, je crains fortement que sans accélérer la cadence, la Région n’atteindra pas ses objectifs concernant les émissions indirectes, qui sont, rappelons le, 5 fois supérieures aux émissions directes. Alors oui, c’est un domaine complexe, et j’entends que 120.000 euros ont été dégagés pour établir une méthodologie permettant de prendre en compte et de calculer ces émissions indirectes. Mais 2030, ce n’est dans pas si longtemps et tout reste donc encore à faire.
Le levier sur lequel il faut agir en priorité, c’est évidemment la question de l’alimentation, qui représente à elle seule ¼ des impacts environnementaux des ménages. En plus de l’aspect climatique, une alimentation plus saine et durable, c’est-à-dire notamment beaucoup moins carnée, allègerait également la pression sur les soins de santé puisqu’elle réduirait la prévalence des maladies cardiovasculaires, et préviendrait l’apparition de futures épidémies en raison du danger zoonotique élevé que posent les élevages industriels, qui constituent le modèle prépondérant en Belgique. Accentuer la végétalisation des cantines de collectivité, c’est donc, à plusieurs niveaux, une mesure de santé publique. La stratégie Good Food y consacre une sensible attention, mais je pense que les enjeux imposent de décupler les ambitions.
La végétalisation de l’alimentation, c’est évidemment aussi un énorme enjeu en termes de condition animale, qui constitue une autre crise à part entière. En ce moment, il est beaucoup question de l’abattoir d’Anderlecht sous le prisme de l’abattage sans étourdissement. Mais s’il est nécessaire de généraliser l’étourdissement des animaux avant leur abattage pour leur éviter une agonie parfaitement inutile, il ne faut pas que cette discussion occulte le problème fondamental. À savoir le fait qu’on ne peut tuer avec respect quelqu’un qui ne veut pas mourir. Chaque animal abattu à Anderlecht tient à sa propre vie, autant que nous tenons à la nôtre. Et il en va de même des animaux sacrifiés pour la science dans les laboratoires. La note d’orientation sur le bien-être animal évoque un changement copernicien dans notre rapport aux animaux, mais je ne vois pas de prise de conscience plus évidente que celle-là.
Cela ne doit pas nous empêcher de saluer les quelques avancées dans la politique de bien-être animal.
Par rapport à l’année précédente, le changement le plus évident est la sensible augmentation budgétaire dont cette matière va bénéficier en 2022 : 263.000 € en plus, pour un total de 2,3 millions. Un budget qu’il faut toutefois relativiser. Car si on le compare aux enveloppes allouées aux autres compétences de la Région, on se rend compte que le bien-être animal reste le parent pauvre. Cette matière ne reçoit que 1 % des montants alloués à la seule mission budgétaire n°23, qui se consacre aussi à la « Protection de l’environnement, à la Conservation de la nature, et la Démocratie Participative ».
Ensuite, il faut voir ce qui sera fait de ces 263.000 euros supplémentaires. En l'occurrence, cette somme sera essentiellement consacrée à la rédaction du futur code du bien-être animal. Il nous reste donc à espérer que ce Code sera véritablement ambitieux, et non une copie du Code wallon qui serait simplement adaptée au contexte bruxellois. Si tout le monde accueille favorablement l’idée d’une refonte de la loi en la matière, il faut tout de même regretter que le calendrier imposé par l’adoption de ce Code – qui n’aura pas lieu avant 2023, voire 2024 – empêche entre-temps l’adoption de mesures qui seraient pourtant utiles aujourd’hui.
Et puis il y a le problème des contrôles, sur lequel on revient tous les ans au moins. Quatre ou cinq inspecteurs pour le département bien-être animal de Bruxelles Environnement, ce n’est pas assez si on veut prendre la question au sérieux. C’est très bien d’écrire un Code du bien-être animal, mais encore faudra-t-il pouvoir le faire appliquer.
Mais je m’en voudrais de conclure sur des notes négatives, alors je vais terminer très brièvement par la politique en matière d’Égalité des Chances et des Droits des Femmes, afin de saluer l’attention qu’y accorde le Gouvernement. Cette problématique s’est aujourd’hui imposée dans l’espace public grâce aux voix des publics concernés, des femmes et de la société civile, il faut s’en réjouir. Et force est de constater que le gouvernement y répond. On pourrait bien sûr toujours aller plus loin. Mais il faut néanmoins souligner les attentions budgétaires dans le cadre du plan bruxellois de lutte contre les violences faites aux femmes, les volontés en termes de handistreaming et de gendermainstreaming, ou encore le soutien aux associations de lutte contre le racisme et les discriminations, l’accessibilité, la lutte contre les violences faites aux femmes et les personnes LGBTQIA+. Les volontés d’inclusion sont certaines, et je vous en félicite.