Intervention prononcée le 24 octobre 2020 à la Déclaration de politique générale de 2020 du Gouvernement bruxellois. Pour lire l'intégralité des échanges de la séance plénière du jour : matin et après-midi.
Monsieur le Ministre-Président, vous avez mentionné à plusieurs reprises dans votre déclaration annuelle que celle-ci représentait un exercice bien difficile dans le contexte d’incertitude sanitaire que nous connaissons. Et je pense en effet que l’honnêteté pousse à reconnaître dans ce Parlement votre position délicate, qui consiste à présenter des projets et stratégies pour l’année à venir, alors qu’un nouveau confinement plane au dessus de nos têtes et qu’on ne sait pendant combien de temps il faudra encore colmater les dégâts de la crise et apporter une réponse aux tragédies qu’elle provoque.
Vous avez rappelé quelques chiffres vertigineux : notamment celui du déficit annoncé qui atteindra 1,5 milliard d'euros pour cette année, que vous prévoyez d’amortir par le dégagement d’un budget pluriannuel, qu’il faudra examiner le mois prochain. Je pense que nous avons donc la mesure de la difficulté de telles projections alors que nous sommes pleinement entrés dans la deuxième vague qui nous était annoncée.
J’ai néanmoins plusieurs questionnements concernant le logement, le droit à l’alimentation, la santé et, ça ne va pas vous surprendre, le bien-être animal.
Premièrement, vous indiquez vouloir, je cite, « construire la ville en redonnant à la nature, à la biodiversité, une place de premier plan. » Je ne nie pas que certaines initiatives du Gouvernement vont dans ce sens, vous en citez certaines, et on sera attentifs aux résultats du futur Plan Nature. Mais force est de constater que ce visage vert que veut montrer la Région cache parfois des décisions contraires, surtout en matière de développement urbanistique. À ce titre, vous mentionnez la finalisation prochaine du Règlement Régional d’Urbanisme qui porterait selon vous des objectifs « de durabilité, d’écologisation et de qualité ». Il me semble que nous sommes nombreuses et nombreux dans ce parlement à estimer que ce RRU mériterait d’être revu plus en profondeur afin d’être plus ambitieux encore en matière d’environnement, comme cela a été dit récemment en commission développement territorial. J’aimerais savoir si cette demande a été entendue par le Gouvernement.
En matière d’habitation, justement, la problématique des logements inoccupés suscite beaucoup d’attention dans ce parlement. Le droit au logement, qui est garanti dans notre Constitution, justifierait, je pense, des efforts plus conséquents dans la lutte contre les habitations vides, et bien davantage que dans le développement urbanistique. Vous mentionnez l’objectif de réduction du nombre de logements inoccupés par un travail de recensement centralisé, mais il me semble que les observatoires communaux sont déjà subsidiés par la Région. Je lis que le droit de gestion publique rencontre certaines difficultés dans la pratique, mais en complément d’autres aides au logement, je crois que ça reste une opportunité pour la Région de répondre de façon plus appropriée à la demande en logements de tous types.
Monsieur le Ministre-Président, j’entends les objectifs en matière d’égalité des chances, de lutte contre les discriminations et des droits des femmes, et je me réjouis que le Gouvernement ambitionne de travailler et de financer davantage ces thématiques. Comme vous l’avez justement expliqué, ce sont des problématiques qui ont été affectées par la crise, alors qu’elles étaient déjà criantes avant la crise. Nous serons attentifs aux annonces plus détaillées à ces sujets. Je vous souhaite également de pouvoir mener à terme l’importante stratégie de rénovation du bâti.
Les objectifs du gouvernement en matière de lutte contre le sans-abrisme posent en revanche question. Vous avez indiqué dans votre déclaration votre volonté de trouver des solutions pour les personnes et familles sans abri qui ont été accueillies de façon temporaire et urgente pendant la première vague. Mais il n’est pas clair pour moi quelle est la stratégie structurelle de la Région pour répondre au problème de long terme. Vous annoncez la multiplication des projets Housing First, mais sans en dire beaucoup plus. À la fin de l’année dernière, Monsieur Maron avait exprimé ses réserves à propos des plans hiver ; il expliquait vouloir apporter une réponse plus durable au sans-abrisme. J’aimerais donc entendre plus de précisions du Gouvernement à ce sujet.
Pour ce qui concerne la compétence du bien-être animal, j’avoue avoir un sentiment ambivalent. D’un côté, je ne m’attendais pas forcément à ce que cette thématique soit évoquée, puisque dans les faits, notre société accorde encore aujourd’hui une attention assez marginale aux droits et intérêts des animaux non-humains. D’ailleurs, votre présentation volontairement humoristique de cette matière montre bien qu’il s’agit d’une compétence considérée comme un peu frivole, et pas vraiment prise au sérieux. Mais bon, vous avez le mérite de l’avoir mentionnée. D’un autre côté, je me demande si pour annoncer ce qui a été annoncé, il ne valait pas mieux ne rien dire.
Vous indiquez que le gouvernement a lancé ou concrétisé la majorité des projets touchant au bien-être animal, et pour le prouver, vous citez les évolutions législatives que sont la liste positive des reptiles, l’interdiction des équidés dans les manèges, l’interdiction des pièges à colle, ainsi que l’interdiction de la détention de cétacés. Ce sont bien sûr de très bonnes mesures, et je vous en félicite. Mais elles sont presque toutes déjà actées, donc ce ne sont pas des projets pour 2021, et en plus elles correspondent à de simples conversions en loi des avis rendus par le Conseil du bien-être animal ou bien de propositions de parlementaires.
Et pour ce qui concerne les chantiers pour 2021… eh bien à vous entendre, il n’y en en a aucun. Vous évoquez simplement la tenue l’année prochaine d’une conférence sur l’éthique animale, et la poursuite d’un dialogue avec les communes.
Je ne veux pas présager que le Gouvernement n’a d’autres idées pour faire avancer la condition des animaux, j’espère sincèrement qu’il n’a simplement pas jugé utile de s’étendre sur cette thématique dans sa déclaration. Parce que les opportunités d’avancées sont évidemment aussi nombreuses qu’il existe d’animaux en souffrance. J’ai par exemple interrogé cette semaine le Ministre Clerfayt sur l’absence de stratégie de réduction du nombre d’animaux en laboratoire. Il y a aussi la cellule bien-être animal de Bruxelles Environnement, qui réalise un travail indispensable avec des moyens bien trop limités. Il y a encore notamment toute la question du commerce d’animaux de compagnie, qui fait toujours l’objet de nombreux abus.
Un autre aspect sur lequel j’aimerais en entendre davantage est celui de la stratégie que vous évoquez dans le cadre du plan de relance et qui vise à mettre en oeuvre un droit à l’alimentation. Vous expliquez que l’aide alimentaire reste une nécessité pour les publics vulnérables, mais qu’elle devrait être complétée d’une garantie à la mise en œuvre plus structurelle du droit à l’alimentation. Je partage entièrement cet avis, et je vous encourage à développer cet aspect avec ambition. Malgré des stratégies positives telles que Good Food, l’alimentation de qualité reste une thématique trop peu abordée lorsqu’il est question de prévention de la santé.
Avant-hier, j’entendais la fonctionnaire dirigeante d'Iriscare, Mme Tania Dekens, expliquer très justement en commission spéciale Covid que la surmortalité que nous avons particulièrement connue à Bruxelles ces derniers mois dans les maisons de repos et de soin, s’expliquait aussi par l’état de santé globalement plus faible des personnes. Et la santé passe pour beaucoup par l’assiette. La résilience de notre société est donc aussi une question d’alimentation des citoyens.
Spécifiquement, la surconsommation de produits animaux, qui est une réalité omniprésente dans les foyers et les cantines, impacte notre santé et notre système de soin à plusieurs niveaux. On le sait, elle augmente premièrement le risque de certaines maladies, comme les maladies cardio-vasculaires, le diabète de type 2, les cancers. Elle est également un facteur bien connu d’émissions de gaz à effet de serre, et nous en ferons donc les frais aussi par le biais du réchauffement climatique. Et troisièmement, les élevages d’animaux sont de véritables incubateurs d'agents pathogènes, en témoignent les épidémies de grippe aviaire et porcine, qui pourraient bien un jour se transformer en nouvelles pandémies.
La crise que nous connaissons est aussi celle de notre empreinte sur l’environnement et les animaux. Le Parlement européen vient de voter le budget de la nouvelle PAC, que l’on dénonce comme étant en complète inadéquation avec les récentes stratégies de la Commission telles que le « Green Deal » et « de la ferme à l’assiette ». La nouvelle mouture de la PAC passe à côté des enjeux environnementaux. À nouveau, des milliards d’euros publics iront dans l’élevage industriel, au détriment du climat, de la biodiversité et du respect minimal envers les animaux.
La situation est donc inquiétante, Monsieur le Ministre-Président, et on peut d’autant plus s’étonner du fait que vous n’ayez pas fait mention du plan Good Food dans votre déclaration. Il serait pourtant l’endroit idéal pour inscrire des ambitions rehaussées en matière d’approvisionnement alimentaire. Pourriez-vous faire le point sur cette stratégie, ainsi que sur cette même thématique dans le Plan Social-Santé, qui est censé être en préparation cette année ? Vous avez parlé de la future ordonnance climat, qui est, si je ne me trompe pas, à l’état d’avant-projet, et qui viendra fixer dans une loi les objectifs de la Région en la matière. Je pense qu’il serait primordial de réserver un important chapitre à l’alimentation dans cette ordonnance, afin notamment de permettre une réduction des émissions indirectes de gaz à effet de serre de la Région.
Dans votre déclaration, vous avez cité Sartre, en expliquant que malgré l’incertitude, nous n’avons pas droit au désespoir. Si Sartre n’est pas d’une grande aide dans cette crise, on peut peut-être s’inspirer de Camus, qui, dans La Peste, décrivait une société enfermée dans sa routine et incapable de sortir de son indifférence pour réagir face à une catastrophe annoncée. L’oeuvre de Camus nous inspire la révolte, l'action individuelle et collective. Si la crise du coronavirus fait quelque chose de positif, c’est bien pointer du doigt les dysfonctionnements de notre système, et notre modèle alimentaire et agricole en est un point central.
Je vous remercie.